« Nous ne sommes pas écoutés […] sur des sujets qui concernent notre propre vie. » Le rapport du Défenseur des droits pointe une véritable violation de la Convention Internationale des droits de l’enfant qui concerne de nombreux enfants en France. Pourquoi la parole des enfants et des jeunes est-elle si souvent ignorée ? Le rapport souligne un frein d’ordre culturel : « un manque de considération de l’enfant et de ses opinions. L’enfant est souvent considéré comme un être fragile et vulnérable, un individu en devenir, incapable d’user de sa raison pour se forger ses propres opinions et qui ne dispose pas d’assez de connaissances pour intervenir dans les décisions qui les concernent. »
« Permettre à l’enfant de participer aux décisions qui le concernent, c’est prendre des décisions plus légitimes »
Il existerait en France une certaine indifférence à cette question qui n’est pas intégrée dans nos habitudes. Alors que certains Etats comme la Finlande, le Belgique ou l’Irlande l’ont inscrit dans leur Constitution, les Institutions en France semblent peu considérer cette question. Et pourtant, « permettre à l’enfant de participer aux décisions qui le concernent, c’est prendre des décisions plus légitimes, plus justes et plus respectueuses, qui permettent à l’enfant de contribuer à sa propre protection en le rendant auteur de ses droits. » Comme le soulignait le rapport de 2019, ne pas prendre en compte la parole de l’enfant pour des décisions qui le concernent c’est également une forme de violence.
« Je n’ai pas vraiment eu le choix de mon orientation au lycée », constatait l’un des jeunes de la consultation.
Que ce soit au sein de la famille, à l’école (pour leur orientation scolaire), au sein des Institutions judiciaires, en détention, au sein des dispositifs de protection de l’enfance, le droit pour l’enfant d’être entendu reste un droit peu effectif.
Le rapport cite l’exemple du cadre scolaire où les enfants sont souvent peu entendus. Certaines sanctions interviennent parfois dans le cadre scolaire sans que les élèves aient été entendus. Il existe pourtant une obligation de recueillir la parole de l’enfant, garantie par la Convention Internationale des droits de l’enfant.
Cette absence de prise en compte concerne également la participation collective des enfants, à l’image des Conseils de Vie Lycéenne où les prérogatives sont peu respectées dans la pratique : « Les réunions des CVL sont devenues aléatoires et le rôle des élus des élèves est peu reconnu par les adultes, qui sont, par suite, peu présents et peu investis. »
« Les enfants en situation de handicap ne disposent ni d’informations suffisantes sur le diagnostic de leur handicap, ni de lieux et d’outils permettant l’expression de leur opinion. »
Autre exemple frappant : les enfants en situation de handicap qui sont peu informés des décisions qui les concernent. « le Défenseur des droits constate régulièrement l’absence de consultation des enfants dans le cadre des procédures devant la MDPH ». Et pourtant, cette écoute et prise en compte de l’avis de l’enfant pour ces décisions qui le concernent facilitent souvent leur adhésion à un quotidien rythmé de contraintes (soins, rééducation, fatigue).
« Les enfants vivant dans des situations de précarité économique ont plus de risques de subir une orientation imposée. »
Qu’ils soient migrants, mal logés, la précarité économique écrase toute considération de la parole des enfants, souligne le rapport. Ces enfants sont encore moins entendus que les autres en ce qui concerne leur orientation scolaire par exemple.
Ceci se vérifie également dans les circuits de protection de l’enfance, alors que recueillir la parole de l’enfant, c’est aussi obtenir une meilleure adhésion, compréhension de la part de l’enfant et le rendre tout simplement acteur de ses droits. Le rapport souligne que « cette difficulté à pouvoir s’exprimer et faire entendre sa voix est accrue pour les mineurs non accompagnés. Dans la procédure d’évaluation de leur minorité et de leur isolement, leur parole est souvent recueillie dans des conditions inadéquates. »
« De nombreux progrès restent à réaliser afin que le droit pour les enfants d’être considérés et entendus collectivement soit pleinement effectif »
Devenue symbole d’un véritable mouvement politique de la jeunesse, Greta Thunberg a pourtant essuyé de fortes critiques. Cela permet d’illustrer ce manque de considération à l’égard de la parole des enfants et des jeunes : « En 2019, des initiatives d’enfants se sont multipliées au travers de manifestations, pétitions et manifestes. En application du troisième protocole facultatif de la CIDE, 16 enfants âgés de 8 à 17 ans, originaires de 12 pays, ont saisi le Comité des droits de l’enfant pour dénoncer le manque d’action des gouvernements face à la crise climatique. Cette saisine, ainsi que le combat mené par Greta Thunberg, n’ont pas échappé aux critiques. Celle-ci a souligné, dans son intervention devant les Nations unies, l’absence d’un « devoir des adultes » à écouter les enfants. ». Solidarité Laïque avait dénoncé ces critiques qui soulignaient justement ce frein culturel à la prise en compte de la parole des jeunes. Car ce cas est révélateur : « la participation collective des enfants doit s’exercer tant au niveau politique, qu’au sein de leurs lieux de vie ou dans les services qui leurs sont proposés. Pourtant, les dispositifs de participation collective ne sont pas systématiquement mis en place. Lorsqu’ils le sont, ils ne sont pas suffisamment variés, sont peu efficaces et peu accessibles aux enfants. ».
« La représentation des enfants n’est réelle que si toute suggestion et/ou récupération de leur pensée, et de leur parole est proscrite. » Sylviane Giampino, Présidente du HCFEA.
Pour mettre en œuvre cette participation collective, le rapport mentionne l’existence de structures comme le Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA) qu’accompagnent le Scoutisme Français, l’ANACEJ et le Collectif Agir Ensemble pour les Droits de l’Enfant (AEDE) dont Solidarité Laïque est une des associations co-coordinatrices. « Dans le HCFEA « la formation spécialisée dans le champ de l’enfance et de l’adolescence associe à ses travaux un collège de 12 enfants et adolescents ». Ceux-ci sont invités à construire des propositions et à débattre sur celles proposées par les autres membres. Lors de la séance plénière du 24 avril 2020, ils ont adressé une lettre ouverte au président de la République, réunissant tous leurs témoignages. »
Deux problèmes se posent cependant : les jeunes participant à ces structures ont souvent le sentiment qu’ils n’ont pas réellement d’influence sur les décisions prises. De même, à l’image des structures politiques traditionnelles, « les participants aux Conseils municipaux d’enfants ou Conseils municipaux de jeunes sont surtout des jeunes issus d’un environnement familial et scolaire favorisé, propice à l’éveil d’un intérêt politique. »
Quelles solutions ?
Quelles sont les solutions permettant de prendre davantage en compte la parole des enfants et des jeunes ? Cette situation de non prise en compte est génératrice de violence pour les enfants et freine leur épanouissement et leur construction en tant que citoyens en devenir. Le rapport suggère plusieurs pistes parmi lesquelles :
Une meilleure information et sensibilisation des enfants et des adultes
Le rapport recommande une meilleure information et sensibilisation des adultes et des enfants aux droits de l’enfant. Permettre aux enfants d’argumenter, réagir, débattre ensemble fait également partie de cette meilleure prise en compte des droits de l’enfant.
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Les balises proposées par le comité des droits de l’enfant de l’ONU
De même, créer des dispositifs de participation effectifs et respectueux des enfants ne s’invente pas.
Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU suggère le référentiel suivant :
Une participation respectueuse : L’opinion de l’enfant doit être respectée et dûment considérée en fonction de son âge, de sa maturité et de sa capacité de discernement. Cela suppose une double vigilance : d’un côté, éviter une sur-responsabilisation de l’enfant, en lui faisant porter le poids de décisions trop lourdes ; de l’autre, accorder une pleine considération à ce qu’il exprime, ses besoins et son rythme.
Une participation adaptée aux enfants : Le processus, les projets et l’organisation de la participation doivent être adaptés à l’enfant, à son âge, à ses besoins et à sa situation. Différents moyens d’expression doivent être accessibles – oral, écrit, dessin, vidéo, etc. – pour faciliter et désacraliser la participation.
Une participation inclusive : l’inclusion de tous les enfants, qu’ils soient issus de minorités, en situation de handicap ou de vulnérabilité, dans les dispositifs de participation.
Une participation sûre et responsable : Enfin, les espaces de participation doivent être sûrs : les adultes « doivent prendre toutes les précautions voulues pour réduire au minimum le risque pour un enfant d’être, du fait de sa participation, exposé à la violence, à l’exploitation ou à toute autre conséquence négative ».
Réfléchir la prise en compte et la méthode de prise en compte de la parole des enfants en amont des projets
« Penser en amont l’implication de l’enfant dans un processus de décision, signifie, pour les professionnels et institutions, l’intégrer dans les projets de services et considérer les actions menées pour la promouvoir comme inhérentes aux missions de l’équipe. »
Adopter une charte éthique de protection des enfants
« Le Défenseur des droits recommande à toutes les structures qui accueillent ou prennent en charge des enfants de se doter d’une charte éthique de protection des enfants, signée par tous les acteurs étant directement ou non en contact avec les enfants. Pour favoriser une participation effective, le Défenseur des droits recommande que, dans la mesure du possible, des enfants soient associés à la construction de la charte et qu’ils soient dûment informés de son contenu. »