C’est la première fois qu’un nombre aussi important de chefs d’Etat, dans une déclaration commune, appelle à « prendre des mesures pour promouvoir des dispositifs institutionnels efficaces de régulation des acteurs privés de l’éducation ».
En effet, au cours des dernières années, le droit à l’éducation se voit remettre en cause de manière croissante par le développement de la participation des acteurs privés aux services de l’éducation. Des offres alléchantes, des programmes low costs pour une éducation bradée qui causera des dommages irréparables à des générations d’élèves.
Cette déclaration est donc une victoire de plus pour les nombreuses organisations de la société civiles mobilisées, qui lançaient ce jour là officiellement leur appel contre la marchandisation de l’éducation.
Solidarité Laïque, engagée dans le réseau contre la marchandisation de l’éducation, participe à cette mobilisation exceptionnelle qui porte déjà ses fruits.
« De nombreux pays en Afrique ont vu le nombre d’écoles privées exploser durant la dernière décennie, en particulier des écoles à bas coût, de mauvaise qualité, visant les populations les plus pauvres. Depuis 2000, la proportion d’élèves scolarisés dans le privé en primaire est passé, par exemple, passée de 10% à 17% au Burkina Faso et a quintuplé en Mauritanie » s’inquiète Samuel Dembelé, président du Réseau africain de campagne sur l’éducation pour tous.
De même, au Maroc, où la part de l’enseignement privé a plus que triplé en seulement quinze ans, « l’Etat a failli à son rôle de garantir une école pour tous. Aujourd’hui l’Etat marocain encourage la privatisation et la marchandisation de l’éducation comme solution aux défis éducatifs du pays. Le Chef de gouvernement a même déclaré que le moment était venu pour que l’Etat lève la main sur l’éducation et la santé », déclare Ibtissam Mzibri, Secrétaire générale du Mouvement Anfass Démocratique (Maroc).
Or, « il a été montré à travers des recherches dans de nombreux pays que la privatisation de l’éducation a des effets désastreux en termes de qualité des contenus éducatifs, de ségrégation et d’inégalités socio-économiques, et donc pour la réalisation des droits de l’Homme, ce qui contrevient aux obligations juridiques des Etats, » regrette Sylvain Aubry, de l’Initiative mondiale pour les droits économiques, sociaux et culturels.
L’Appel de la société civile francophone contre la marchandisation de l’éducation met en garde contre les différentes formes de marchandisation dans les secteurs de l’éducation formelle et non formelle, et dénonce la transformation de l’éducation en un produit marchand. Il appelle notamment les Etats à:
- mettre en place un système d’éducation publique de qualité et entièrement gratuit,
- réguler l’enseignement privé,
- éliminer les établissements d’enseignement à but commercial.
« Cet Appel démontre que la privatisation de l’éducation est un enjeu crucial à travers le monde, et il constitue un important outil de solidarité, pour nous qui agissons au quotidien en Haïti pour re-développer notre système éducatif public, alors que près de 80% des établissements scolaires sont privés! Cela est dû à des décennies d’abandon de l’éducation publique par le gouvernement, et au soutien au secteur privé des bailleurs internationaux tels que la Banque Mondiale et le Partenariat Mondial pour l’Éducation » précise Mona Bernadel du Programme Collectif pour le Développement de l’Éducation et du Dialogue Social en Haïti.
Dans ce contexte, la Déclaration d’Antananarivo, signée au terme du Sommet de la Francophonie 2016 qui s’est tenu à Madagascar les 26 et 27 novembre, et qui reprend une grande partie des revendications de la société civile francophone, constitue un engagement politique majeur. Les 57 Etats membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) signataires de la Déclaration s’inquiètent notamment au paragraphe 39 du « développement des établissements scolaires et éducatifs à but commercial ».
« Nous sommes particulièrement inquiets vis-à-vis des chaînes d’écoles privées à but commercial, telles que l’entreprise Bridge International Academies, qui a plus de 400 écoles au Kenya, en Ouganda, et au Libéria, et promeut un modèle d’éducation de mauvaise qualité et hyper-standardisé”, dénonce Carole Coupez de Solidarité Laïque. « Si les pays francophones n’ont pas encore été aussi affectés par ces chaînes d’écoles, il est important qu’ils se mobilisent en amont, et qu’ils promeuvent au niveau international un autre modèle éducatif qui garantisse la justice sociale et la dignité de tous ».
Les Etats de la Francophonie demandent également à l’OIF de « prendre des mesures pour promouvoir des dispositifs institutionnels efficaces de régulation des acteurs privés de l’éducation, afin de garantir la qualité et l’équité des services éducatifs », « en collaboration avec la société civile ».
Sonia Chebbi, de la Fédération Internationale des Céméa (Centres d’Entrainement aux Méthodes d’Education Active) souligne que « les signataires de l’Appel attendent maintenant de l’OIF qu’elle mette en œuvre sans ambiguïté cette demande claire des Etats : agir pour mettre en place une régulation efficace des acteurs privés. Il est crucial de renforcer le travail conjoint de la société civile, de l’OIF et des Etats pour défendre et protéger les systèmes éducatifs publics de qualité dans les secteurs de l’éducation formelle et non formelle ».
« La mobilisation de tous doit en effet se poursuivre après cette étape importante. Nous attendons notamment des États donateurs qu’ils soutiennent les pays partenaires dans le développement de systèmes éducatifs publics de qualité et dans la régulation des acteurs privés de l’éducation » insiste Hélène Ferrer, coordinatrice de la Coalition Education en France.
Luc Allaire, Secrétaire général du Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation conclut : « L’éducation de qualité pour tous ne pourra être atteinte que grâce à un service public d’éducation obligatoire, gratuit et universel. Il s’agit d’un levier incontournable pour mettre un terme aux inégalités scolaires qui sont accentuées par la privatisation et la marchandisation de l’éducation, tant dans les pays du Nord que dans les pays du Sud. »
Télécharger le communiqué de presse.
Documents clés
- Appel de la société civile contre la marchandisation de l’éducation : http://bit.ly/2fKNPmL
- Appel version courte : http://bit.ly/2gZ25gN
- Résumé de l’Appel contre la marchandisation de l’éducation : http://bit.ly/2gchl5R
- Carte des organisations signataires de l’Appel contre la marchandisation de l’éducation : http://bit.ly/2gE2gOj
- Déclaration d’Antananarivo : http://bit.ly/2gMyRS5
- Informations en français sur la privatisation de l’éducation : http://bit.ly/privfr et http://bit.ly/2bgvvQj
A propos du Réseau francophone contre la marchandisation de l’éducation
Ce réseau informel a été initialement impulsé par six organisations (la Coalition Education, le Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation, la Fédération internationale des Céméa, l’Initiative mondiale pour les droits économiques, sociaux et culturels, le Right to Education Project, et Solidarité Laïque) à l’occasion d’un colloque en mars 2016. Il comprend désormais près de 302 organisations qui ont signé l’Appel de la société civile contre la marchandisation de l’éducation. Le Réseau œuvre à assurer une réflexion et une mobilisation collective sur le rôle croissant et l’impact des acteurs privés dans l’éducation formelle et non-formelle à travers le monde francophone, en réunissant dans leur diversité les acteurs de l’éducation (ONG, associations, médias, enseignant-e-s, éducateurs et éducatrices, syndicats, chercheur.e.s …).