Il fallait pour le gouvernement éviter les amalgames entre la laïcité, loi de concorde et la lutte contre l’islamisme radical, éviter les stigmatisations et aussi reconnaître toutes les formes de « séparatismes », y compris sociaux et territoriaux, qui divisent notre pays. Mais du « plan d’action contre les séparatismes » annoncé par le Président de la République à l’occasion du 150e anniversaire de la Troisième République à une loi « confortant le respect des principes de la République », c’est à un glissement sémantique lourd de sens que l’on assiste.
L’arsenal législatif existant n’était-il donc pas suffisant pour protéger la République des dérives extrémistes ? A trop vouloir les contraindre, les libertés s’amenuisent et la laïcité perd de son sens. Ces lois de libertés de culte, de conscience et de liberté associative sont aujourd’hui présentées sous leurs contraires : des interdictions. Le projet de loi poursuit dangereusement ce glissement restrictif, en obligeant les associations à agir pour la sauvegarde de l’ordre public, déplaçant leur objet d’expression citoyenne, encadrant leurs libertés de critiquer, de débattre, de questionner les politiques publiques, de proposer, quand elles font vivre justement l’idéal laïque et républicain, par la culture du dialogue et de l’éducation.
Décryptage
Sur l’éducation et l’instruction obligatoire
Engagés dans la défense d’une éducation publique de qualité, seule garante de l’égalité d’accès pour chaque enfant à l’éducation qu’il mérite, nous espérons que les propositions faciliteront le contrôle exercé sur les établissements hors contrats, permettront de mieux réguler tous les acteurs privés et de lutter aussi contre les dérives contraires au « bien public » qu’est l’éducation, aussi bien les dérives cultuelles, convictionnelles que lucratives ou élitistes et discriminantes.
Les propositions vont en effet dans le sens d’offrir une éducation de qualité à toutes et à tous, à égalité, notamment avec « la scolarisation obligatoire » de toutes et tous, en encourageant la mixité sociale dès le plus jeune âge et en encadrant mieux les structures éducatives. C’est le sens de l’école obligatoire à trois ans (article 21), du projet de loi qui fixe des dispositions relatives à l’instruction en famille afin de mieux l’encadrer et de recenser les enfants instruits hors de l’école.
Ces dispositions ont été judicieusement reprises, après alerte du Conseil d’Etat, pour être conformes constitutionnellement notamment à la Déclaration universelle des droits de l’Homme « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. » (article 26). Dans ce sens, le projet module l’autorisation de l’instruction en famille à « l’existence d’une situation particulière propre à l’enfant » et « sous réserve(…) de la capacité à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. »
Enfin, au chapitre de l’instruction, il est annoncé que « les écoles hors contrat feront l’objet d’un contrôle renforcé ». La loi Gatel de 2018 avait déjà permis à l’Etat de surveiller de plus près les écoles hors contrat à leur ouverture, cette proposition va dans le sens d’un renforcement des contrôles de façon plus régulière afin d’éviter des cas de radicalisations de certains établissements, le non-respect des exigences légales de salubrité, sécurité, protection des enfants que ce soit dans l’environnement comme dans les contenus des apprentissages.
Sur la liberté de culte : oui, mais attention aux stigmatisations
Prétendre à l’organisation des cultes, c’est tordre la loi de 1905 qui institue un régime de libertés et un affranchissement de la tutelle de l’Etat sur les religions (dans une logique de « séparation » de l’Eglise et de l’Etat) . L’écueil serait que la laïcité, garante des possibles, devienne un cadre purement « interdictif » et un prétexte législatif pour stigmatiser certains cultes. On retiendra toutefois les propositions qui vont dans le sens de plus de transparence, comme de séparer clairement les associations ou les organisations qui relèvent de la loi de 1901 (culturelles) et celles (cultuelles) de 1905 ou le plus grand contrôle exercé sur les financements des cultes et la formation de leurs représentants par des puissances étrangères…
Haro sur la liberté associative !
« Ce sont les associations, par leur diversité, leur respect de la personne, leur ouverture aux autres et leur action pour le bien commun qui ont justement permis la diffusion du modèle républicain, y compris chez ceux qui en étaient au départ éloignés. » Extrait de la Tribune du Mouvement associatif publiée dans Le Monde.
En amalgamant toutes les formes associatives et en jetant la suspicion sur les associations, en cherchant à en contrôler « certaines », ce projet de loi les attaque toutes. Solidarité Laïque, composé de dizaines d’associations, et membre de plusieurs collectifs associatifs, réitère que les associations sont la solution et non le problème et dénonce ce qui dans ce projet de loi représente un grave recul démocratique.
Nous rappelons qu’en cette période de pandémie et de repli sur soi, les associations au quotidien et en proximité jouent un rôle déterminant en aidant les plus démunis et en leur permettant d’accéder à l’information, à leurs droits et à la dignité. Aux premières lignes pour mener ce combat contre l’isolement social et pour une société inclusive, elles devraient non pas être contraintes, mais davantage soutenues par l’Etat pour se consacrer pleinement à leurs missions sociales.
Aux côtés du Mouvement associatif, nous soulignons aussi que « la vie associative constitue le premier des remparts contre les « séparatismes » et le lieu où se vivent et se pratiquent les règles de la vie en société, le lieu où se fabriquent les communs. Le rôle clé de la vie associative ne peut s’épanouir que dans le respect par l’Etat des libertés d’association, mais aussi d’expression et d’opinion. »
Aussi, nous questionnons, aux côtés du Mouvement associatif les points suivants :
- Article 6: pourquoi signer un « Contrat d’engagement républicain » réservé aux seules associations sur la base d’un texte publié par décret, alors qu’un cadre partenarial existe déjà entre l’Etat et les associations, via la Charte des engagements réciproques ? Nous demandons le retrait de ce contrat d’engagement républicain et la suppression de la mention de « sauvegarde à l’ordre public » dangereuse au regard du possible rôle de lanceur d’alerte de certaines associations, ou encore pour les associations à vocation politique. La récente jurisprudence du Conseil Constitutionnel sur la remise en cause du délit de solidarité au motif du principe de fraternité a pu mettre en lumière cet enjeu.
- Article 8: nous pointons le risque d’ouvrir des failles juridiques pour l’action associative ou la prise de fonction de dirigeants bénévoles, alors qu’il y a quelques mois encore, une proposition de loi pour encourager l’engagement associatif faisait l’unanimité ;
- Article 10 et 11: nous rejetons les énièmes mesures contraignantes sur le mécénat insérées dans un texte dont ce n’est pas l’objet. Elles ne conduiront qu’à ajouter des contraintes supplémentaires dans un contexte de crise économique pour le secteur associatif.
Pour conclure
Pour lutter contre les radicalismes, réglementer, contrôler et interdire, la République court un grand risque de se radicaliser elle-même. En refusant de comprendre le rôle pédagogique et préventif des associations, l’Etat prive les initiatives citoyennes de la possibilité de mieux faire vivre les diversités dans le dialogue ! Au lieu de limiter les libertés au nom de l’ordre public ne devrait-on pas plutôt encourager les initiatives pour la cohésion sociale et la fraternité ? Solidarité Laïque redoute qu’en ciblant spécifiquement les dérives religieuses et communautaires, qui certes existent, le risque est grand de stigmatiser une partie de la population et d’éluder les fractures actuelles notamment économiques et sociales de notre pays. Le plus fort regret à la lecture de ce projet de loi est donc cette carence : l’absence de reconnaissance des inégalités et des discriminations réelles ou ressenties qui font le lit des populismes, des extrémismes.
Il est crucial de ne pas affaiblir les lois historiques de la République et la laïcité de 1905, base de tous les possibles et cadre social pour vivre ensemble, qui permet la déclinaison de tous les principes de la République : liberté, égalité et fraternité.
A lire aussi :
Le Mouvement associatif s’interroge notamment sur les raisons motivant le nouveau « contrat d’engagement républicain » pour les associations recevant des subventions, prévu dans le projet de loi « confortant le respect des principes de la République ».
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