Ecole primaire Simon Bolivar, Paris 19è arrondissement. 279 enfants confinés, dont une vingtaine de familles logées dans des foyers d’accueil. « 15 mètres carré pour une mère seule et trois enfants en bas âge, un seul smartphone pour toute la famille, pas de télévision, à peine de quoi se nourrir. Vous faites comment pendant 8 semaines ? », interroge Laadja Mahamdi, la directrice de l’école primaire et adhérente du SNUipp. Durant toute la période du confinement, l’équipe pédagogique s’est attachée à organiser un suivi téléphonique quotidien de ces familles particulièrement vulnérables contraintes à rester chez elles. Mais tous les « chez soi » ne se valent pas.
« Lire des histoires par téléphone, juste pour maintenir le lien »
« Il y a eu des craquages, un enfant qui se tapait la tête contre les murs, des mères qui se mettaient la pression pour l’école mais étaient débordées par leurs enfants, et qui en plus ne savaient pas toujours comment elles allaient pouvoir nourrir leurs enfants », poursuit la directrice. Dès la première semaine, un réseau de solidarité s’est constitué avec les autres parents et les enseignants ont organisé entre eux une cagnotte pour aider quelques familles sans ressources. A tour de rôle, les volontaires ont livré des colis alimentaires pour la semaine, transmis les photocopies avec les devoirs, l’occasion aussi d’organiser des visites quand la situation devenait trop tendue à la maison. « Le matin, c’était lecture d’histoires au téléphone pour les plus petits, et on demandait aux plus grands de nous lire quelques paragraphes ou de faire du calcul. Le but était surtout de les rassurer pour qu’ils sentent qu’on restait présents. Mais c’était très frustrant. A la rentrée, il va falloir recoller les morceaux, et ce ne sera pas simple ! »
« A Marseille, choisir entre la faim et le Covid »
A l’autre bout de l’hexagone, à Marseille, la Ligue de l’enseignement des Bouches-du-Rhône n’a pas non plus chômé. Son délégué général adjoint, Karim Touche, a vite vu les risques que couraient ses publics qui conjuguaient isolement et précarité. « Pour les enfants et des jeunes que nous accompagnons, les animations sont des temps de ressourcement essentiels. Etre privé de ces temps-là, c’est perdre des repères. Et être encore moins protégé des tensions familiales.» Durant deux mois, par internet, par téléphone, parfois aussi en se déplaçant au domicile, les animateurs de la Ligue n’ont eu de cesse que de maintenir le contact avec les jeunes, avec parfois l’impression de « colmater les brèches, même si cela a certainement évité que des situations ne dérapent. »
L’aide matérielle y a contribué aussi. « Dans les quartiers Nord de Marseille, poursuit Karim Touche, le budget alimentaire, qui représentait déjà avant le confinement jusqu’à 40 % du budget mensuel, a explosé car l’accès aux grandes surfaces était plus compliqué. Si on ajoute à ça la perte d’un emploi et la fermeture de la cantine qui assure habituellement un repas équilibré par jour aux enfants pour 70 centimes, ça a été catastrophique pour certains. » Les éducateurs se sont donc transformés le temps de cette crise en livreurs de colis alimentaires. « Mais tout n’est pas noir. Nous nous nous sommes mieux coordonnés entre services sociaux, avec la mairie et avec plusieurs associations. Ce travail-là nous sera très utile pour assurer l’après-crise. Et ce sera nécessaire ! »
«Malgré le confinement, rompre à tout prix l’isolement »
A Pont-à-Mousson, Jérémie Pachoud, partenaire de Solidarité Laïque depuis plusieurs années, est directeur d’une résidence sociale qui accueille des publics marginalisés : prisonniers, travailleurs migrants à la retraite, allocataires sociaux du RSA, personnes souffrant d’addiction ou surendettées … « Du jour au lendemain nos 85 résidents se sont eux aussi retrouvés confinés. C’était une situation de risque, vu que le propre de notre accompagnement est de leur permettre de retisser du lien social. Il a fallu supprimer tous les temps collectifs, comme par exemple le petit déjeuner que nous avions deux fois par semaine. Certains ont eu beaucoup de mal avec ça, comme ceux qui étaient en cours de sevrage, car ces moments les aident à retrouver de l’élan pour tenir. » A la fin du confinement, il a été finalement décidé de réinstaurer ces moments de partage tout en veillant au respect des gestes barrière. Une décision qui a fait du bien à tout le monde.
« Cette crise a permis aussi de révéler des ressources chez les résidents »
L’expérience a été néanmoins riche en enseignements en révélant les capacités de résilience chez les résidents. « La première semaine, nous avons fait beaucoup de pédagogie pour expliquer les raisons du confinement. Non seulement eu égard à la loi, mais parce que nos publics présentent souvent plusieurs pathologies qui les rendaient vulnérables face au Covid-19. Il fallait à tout prix éviter que le virus entre dans la résidence. » A la surprise des travailleurs sociaux, les règles ont été scrupuleusement respectées par tous. « Ensuite, le gros du travail a consisté à maintenir le lien avec nos publics, conclut Jérémie Pachoud. Pour éviter les décompensations et les ruptures, il fallait rassurer, montrer qu’on était présents, qu’ils n’étaient pas livrés à eux-mêmes malgré l’isolement. Ça a été très difficile. J’espère que les dégâts ne seront pas trop graves et que les situations individuelles ne se seront pas trop dégradées. Nous allons voir ça maintenant que le confinement est levé. »