Le gouvernement a, semble-t-il, décidé de mettre en chantier une révision de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État. Fondement de la laïcité républicaine, ce texte ne saurait être retouché que d’une main tremblante.
Si la loi de 1905 a pu sembler une loi de circonstance ou, plus exactement, une loi imposée par les circonstances qui en ont précédé l’adoption, comme le raidissement réactionnaire de l’Église catholique et la compromission d’un certain nombre de congrégations dans le camp antidreyfusard, la qualité des débats parlementaires qui, aujourd’hui encore, en éclairent la philosophie, le génie politique des acteurs de sa confection que furent Aristide Briand, Jean Jaurès, Francis de Pressensé ou Ferdinand Buisson et, enfin, la finesse de rédaction de ses dispositions en ont fait une loi de principe inspirée par la logique de liberté.
L’esprit en est tout entier exprimé dans ses deux premiers articles. « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public », précise le premier, reprenant pour l’essentiel les dispositions de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », est-il indiqué dans le deuxième. Même si le mot laïcité n’est jamais mentionné, personne ne doute que la loi de 1905 constitue le socle de la laïcité républicaine française. Aucune boursouflure idéologique, simplement un mode d’organisation des relations entre l’univers de la confessionnalité et celui de l’intérêt général incarné par l’État, reposant sur une neutralisation confessionnelle des institutions. Chacun est désormais libre de croire, de ne pas croire, de changer de religion, d’adopter les pratiques que lui recommande son culte, dès lors que cela ne trouble pas l’ordre public démocratiquement défini, mais chacun est, par ailleurs, responsable du financement du culte auquel il adhère.
Certes, entend-on régulièrement évoquées les modifications dont la loi aurait fait l’objet, mais qui en dehors de quelques aménagements cosmétiques se limitent à deux, celle opérée de façon périphérique par la loi du 2 janvier 1907 destinée à éviter que les catholiques n’aient à pâtir de l’intransigeance réactionnaire du Vatican, et celle introduite sous le régime de Vichy par la loi du 25 décembre 1942 et accordant aux associations cultuelles la grande capacité juridique leur permettant de recevoir des dons et legs sans droits de mutation.
Cette loi de liberté constitue encore aujourd’hui le meilleur rempart contre les tentatives de récupération identitaire ou de travestissement essentialiste de la laïcité.
Le projet de révision se heurte à plusieurs ordres d’objections. Le premier est d’ordre symbolique. Depuis 113 ans, la loi a garanti une paix religieuse intelligente, y toucher c’est prendre le risque d’en rompre l’équilibre subtil. Le contexte politique de l’heure est lourd du risque de voir l’ouverture d’un débat parlementaire s’apparenter à celle de la boîte de Pandore, chacun cherchant à y intégrer ses fantasmes ou ses détestations. Il convient d’éviter toute démarche qui conduirait à faire qu’une loi de liberté devienne une loi d’interdiction, les exigences d’un ordre public plus acrimonieux que républicain balayant la dimension de liberté publique de la laïcité.
Le deuxième est d’ordre pratique. Avant toute autre considération, il importe de se demander si les modifications de l’ordonnancement juridique envisagées relèvent du domaine de la loi, de celui du règlement ou, plus simplement, de simples circulaires ministérielles. Qu’il s’agisse de questionnements relatifs à la police au sein des édifices du culte et de la répression de propos séditieux qui pourraient être tenus par des ministres de quelque culte que ce soit, du mode de financement des cultes, des modalités de gestion des biens affectés au culte, soit la loi, éclairée par la jurisprudence du Conseil d’État, comporte les réponses utiles, soit des dispositions de nature réglementaire explicitant les dispositions de la loi permettraient d’y répondre.
Le troisième est d’ordre politique. Rien ne serait pire que de donner le sentiment, comme certaines informations glanées ici ou là le laissent entendre, qu’il s’agit, une nouvelle fois et dans une logique napoléonide, pour l’État de doter le culte musulman d’une organisation, voire de le soumettre à une obligation particulière de gestion de ses biens affectés à l’exercice du culte. Outre que la neutralité de l’État lui interdit d’organiser, dès lors qu’il ne le reconnaît pas, un culte quel qu’il soit, si des questions se posent, la réponse qui peut leur être apportée ne passe pas par une révision de la loi de 1905.