Les alertes sont nombreuses, régulières, et nous devons continuer de les relayer car le traitement de ces enfants en danger interroge les valeurs de notre République et notre Etat de droit.
A Paris : un ping-pong entre autorités, mais des mineurs toujours à la rue…
Par des températures négatives glaciales, de nombreux jeunes errent dans les rues. Exemple à l’appui : Il y a deux semaines, des avocats alertaient sur le cas de 128 mineurs isolés étrangers en danger dans les rues de Paris – noms et âge à l’appui. Pour comprendre le surréalisme de la situation, il faut revenir un peu en arrière.
Ces 128 mineurs auraient dû bénéficier, depuis la loi du 14 mars 2016, d’un accueil provisoire d’urgence a minima de 5 jours en vue d’évaluer leur situation, et notamment leur minorité et isolement. Cette évaluation doit être conduite par une équipe pluridisciplinaire. La loi est claire sur ce point. La pratique l’est un peu moins. Refus guichet au faciès, évaluation « flash » par le DEMIE (Dispositif d’Evaluation des Mineurs Isolés), et ces jeunes sont remis à la rue, avec un papier leur conseillant de se tourner vers le 115, qui ne pourra les accueillir en tant que mineurs.
Si le casse-tête s’arrêtait là… Quand des avocats saisissent alors le Procureur de la République, chargé de prendre toutes les mesures d’urgence nécessaires[1] si « la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger », et donc ayant le pouvoir d’ordonner des mesures de placement en urgence, ce dernier renvoie la balle à la Mairie de Paris – Département, qui elle-même avait mis ces enfants à la rue…
Au-delà du danger pour leur santé physique et psychique qui est incontestable, ils sont exposés au risque de tomber dans des réseaux de traite, prostitution, exploitation… Et rappelons enfin, un point de « détail » souvent oublié, le doute doit profiter à l’intéressé, et donc ces jeunes doivent être considérés comme mineurs.
D’autres dysfonctionnements dans la prise en charge ont déjà été relevés par le Défenseur des Droits et par d’autres associations. Ce n’est pas nouveau.
Mais Solidarité Laïque s’interroge : comment la France, pays des Droits de l’Homme, peut faire subir autant de violences institutionnelles à ces jeunes ? Faudra-t-il attendre un nouveau drame pour que les conseils départementaux respectent enfin le droit et prennent enfin les mesures nécessaires pour protéger ces enfants comme tout enfant en danger ?
Près de la frontière italienne : pas de temps pour un ping-pong, des mineurs refoulés en 15 minutes ou renvoyés en pleine montagne
Côté frontière italienne, autre altitude, autre frayeur et à deux niveaux : Col de l’échelle et Vallée de la Roya.
Les jeunes prennent d’énormes risques pour passer la frontière italienne lors de la traversée du Col de l’Echelle, dans la vallée de Névache situé à 1700m d’altitude dans un froid glacial. Récemment, des cordées solidaires étaient organisées pour éviter de nouveaux morts, et venir en aide aux mineurs isolés qui franchissaient ce col sans être équipés. Alors que nous aurions dû nous attendre à une aide des forces de police et de gendarmerie, des associations dénonçaient l’arrestation des aidants et le renvoi en pleine nuit, en pleine montagne, de mineurs. Elles dénonçaient cette mise en danger et les cas sérieux ayant nécessité des hospitalisations : pied gelé suivi d’une amputation, hypothermie… A la fonte des neiges, assumerons-nous les corps que nous risquons de retrouver ?
Un peu plus au sud, se dessine la Vallée de la Roya, devenue tristement célèbre. Là encore, des situations surréalistes au plein cœur de l’actualité. Pour la quatrième fois, l’Etat vient d’être condamné pour un refoulement quasi-systématique de mineurs isolés. Revenons là encore un peu en arrière.
Depuis l’état d’urgence, des zones au niveau de cette frontière avec l’Italie ont été créées, appelées Point de passage autorisé (PPA) qui sont matérialisées au niveau de deux gares de Menton. Se déroule alors un spectacle aussi furtif qu’efficace. Des contrôles au faciès des personnes migrantes, qui sont automatiquement renvoyées vers l’Italie. Or, à l’image de ce qui se passe au sein des zones d’attente, pour les mineurs isolés le droit prévoit un délai d’un jour franc, pendant lequel le mineur doit recevoir toutes les informations sur ses droits, pouvoir saisir un juge des enfants et se voir nommer un administrateur ad hoc. Une disposition que l’Etat semblait avoir oublié, le 15 février 2018. En effet, ce jour-là, « pour un jeune Soudanais de 17 ans, cela a été bref. Interpellé à 14 h 25, il a reçu un refus d’entrée à… 14 h 30. »
Les associations, qui leur viennent en aide et s’exposent à des poursuites judiciaires pour délit de solidarité, réclament simplement que l’administration « respecte les textes » et assurent la protection de ces enfants et jeunes.
« Ici commence le pays de la liberté » pouvait-on lire en 1792 sur les postes frontières de la République naissante. Une telle formule serait aujourd’hui inconcevable tant la logique d’accueil qu’elle exprime a été remplacée depuis 25 ans par une stratégie du soupçon et du rejet, y compris pour nos enfants. Car ces mineurs isolés sont aussi sous notre responsabilité.
Pourtant, si la France semble oublier ses dispositions de droit interne, elle ne pourra pas ignorer les conventions internationales qu’elle a signées et parmi elles la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Son article 20 énonce que “Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, a droit à une protection et une aide spéciales ”
Solidarité Laïque le rappelle : les mineurs isolés sont avant tout des enfants en danger et doivent être protégés comme tous les enfants.
En ce sens, nous demandons :
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Un accueil provisoire d’urgence dès la présentation du jeune,
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Une évaluation de qualité qui laisse le temps à l’enfant,
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La non mise en danger de ces jeunes.
[1] Au titre de l’article 375 du code civil