Alain Canonne,
Délégué Général de Solidarité Laïque.
L’un de mes quatre enfants, noir, volontaire d’une organisation de solidarité internationale, a fait les frais d’un racisme violent en Tunisie, avec refus de le laisser revenir au retour d’une période de vacances, alors que ses papiers étaient parfaitement en règle.
Ceci n’était que l’ultime épisode de multiples vexations et atteintes à ses droits : difficultés multiples, refus de lui délivrer une carte bancaire ou un carnet de chèque par la banque tunisienne où il avait son compte, maintien pendant neuf mois d’un récépissé provisoire en lieu de sa carte de séjour, renvoi “chez lui” sans papiers après 48h de rétention, etc.
Au même moment, une Française blanche, recrutée par la même ONG, avait eu tout cela en 3 semaines.
Ce qui est à retenir de cette histoire, ce n’est pas seulement l’agression discriminatoire en soi – comme moi, homme blanc, je peux parfois, assez exceptionnellement en subir, certes douloureuses mais relevant davantage du fait divers – c’est plutôt l’acharnement d’un système, relayé par de nombreuses personnes contre lesquelles nous n’avons rien pu faire.
Une chaîne qui broie et ne laisse pas d’espoir, une machine administrative injuste dont le carburant institutionnalisé est le racisme et contre laquelle les efforts sont vains car au fond de l’esprit de celles et ceux qui y participent, existent tous les éléments de justification possibles, imaginaires ou réels, historiques, économiques, fantasmés, fondés par l’éducation-même, l’appréhension, etc.
Lorsque « les blancs » subissent des attaques ou des injures, ils sont victimes d’actes, souvent causés par le ressentiment. « Les noirs », « les Arabes », « les asiatiques » qu’on appelle « les Chinois », « les Roms » sont victimes de cette machine, qui jusqu’à nos jours, trouve ses fondements dans l’Histoire, les institutions, la « société ».
Une machine à laquelle ils et elles, dans ces pays prétendument de « blancs », ont affaire toute leur vie et souvent à chaque instant de leur vie et qui peut pousser à rester auprès « des siens ».
Une machine suffisamment puissante pour les faire douter de leur valeur, de leur beauté, de leurs capacités.
Une machine qui nie les droits fondamentaux, l’accès à l’éducation, à la santé, au travail, au logement.
Cette machine, reprise par certains éducateurs, par certains parents qui, pour les mauvaises raisons, cherchent à dissimuler en les rasant ou en les tressant les cheveux de leurs enfants, pourtant tout aussi magnifiques quand ils sont libres.
Une machine qui m’a fait courir longtemps de chambre d’enfants en chambre d’enfants pour découvrir les pots d’hydroquinone achetés en cachette et qui visent à « blanchir » la peau, au risque d’un cancer.
Une machine qui fait préférer à nombre de petites filles la poupée blanche à la poupée noire, trop souvent délaissée, « punie » ou mal-aimée.
Combien d’horreurs a produit ce racisme créé de toutes pièces et avec suffisamment de savoir-faire et de violence pour qu’il s’institutionnalise et s’approprie par les victimes mêmes ?
Aujourd’hui, un véritable danger nous guette, celui de la banalisation. Les droits seraient relatifs et tout se vaudrait ?! Cela sert les desseins les moins nobles et est alimenté par l’actualité. Il nous faut nous battre chaque jour pour comprendre et refuser cette fatalité.
En Tunisie, le nouveau maître du pays, raciste bien entendu quoi qu’il prétende, s’est fendu d’une diatribe contre les migrant.e.s subsaharien.ne.s. Mais des voix se sont immédiatement levées en contre ces propos et des manifestations ont eu lieu, quels que soient les risques réels d’affronter le Président. Punir les Tunisien.ne.s des propos d’un homme relève de la même logique raciste de généralisation d’un peuple sur les propos d’un seul. Une logique raciste qui avilit celui qui y adhère.”
La meilleure arme contre le racisme, c’est éteindre le ressentiment et pour cela, c’est refuser le déni de l’histoire du racisme, c’est admettre que notre appareil institutionnel est marqué par cette Histoire qui a dessiné un racisme d’État, c’est être sans condition auprès des victimes du racisme et c’est éduquer et éduquer encore.”
« Au moment d’écrire ce billet, j’ai une hésitation. J’ai eu récemment un débat autour de l’idée que le “racisme anti-blanc” n’existe pas. Et je me suis senti révolté : n’avais-je pas moi-même vécu plusieurs expériences de discrimination qui m’avaient profondément choqué ? Pourquoi dès lors, des amis et non des moindres, avaient-ils insisté sur cette notion, pourquoi avaient-il pris le risque de me blesser davantage encore, de négliger l’effet que cela avait eu sur moi ? Que voulaient-ils dire ?
J’ai alors retrouvé cette définition d’Albert Memmi, qui a été l’un des points de départ de mes réflexions : « Le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier ses privilèges ou son agression. »
Alain Canonne,
Délégué Général de Solidarité Laïque.