Le point médian cristallise les tensions mais il a une vocation qui prime sur le reste : être inclusif !
Nous avons choqué certain.e.s de nos lecteur.rice.s avec ce titre : “Méditerranée – Encore combien de mort.e.s faudra-t- il ?” en référence à ces 31 personnes mortes lors d’une traversée de la Manche le 24 novembre 2021.
Ailleurs, nous avions lu “des victimes naufragées”, “des corps”, “la mer a encore tué”… Pire, le langage utilisé en devenait parfois plus qu’euphémiste, avec des formules comme “le drame de la migration”.
Ces mots neutres, ce déni de nommer, cette pudeur, cette invisibilisation des personnes, en les passant sous des mots flous, nous avaient tout autant choqué.e.s.
Eux, elles, étaient certes des hommes, des “migrants” (doit-on rappeler que migrer est un droit ? – article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme).
Mais il y avait également des femmes migrantes et des enfants, Kurdes, originaires d’Irak et d’Iran qui fuyaient le régime de Massoud Barzani, qui avaient une vie, une famille, une Histoire.
Maryam, jeune femme de 24 ans qui partait rejoindre son fiancé en Angleterre. Pushtiwan, jeune homme de 18 ans qui voulait gagner en Angleterre de quoi envoyer de l’argent à sa sœur malade. Twana, Kazhall et ses 3 enfants, Hadia, Mubin et Hasti, et tellement d’autres.
C’est aussi notre devoir éducatif de lutter contre les idées reçues (tous les migrant.e.s seraient des jeunes hommes et leur acte serait individualiste) qui – à mal nommer, à mal identifier – font le lit des approximations, des erreurs et puis des préjugés.
L’écriture inclusive dérange et fait lever des voix, qui ne sont visiblement pas celles qui ont le plus besoin de ces mots pour s’identifier !
La règle grammaticale du “masculin qui l’emporte sur le féminin” est résolument politique. Les mots du grammairien Nicolas Beauzée “Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle”[1] ont influencé l’Académie Française. C’était en 1767 !
Et si nous laissions la langue se saisir des évolutions des mentalités, des usages générationnels, professionnels et émotionnels contemporains ? Pourquoi des mots comme “cluster”, “infox”, “remontada” ou “hipstérisation” peuvent entrer au dictionnaire de la langue française[2] mais pas une écriture qui a pour objet d’inclure les identités de la société d’aujourd’hui ?
Notre langue, nos langues faudrait-il dire, sont le résultat d’une construction historique, politique et sociale. La langue, l’étymologie, l’étude des expressions nous révèlent l’Histoire, la société, elles disent les rapports de force et les inégalités.
Et si on écoutait, et si on entendait ceux et celles qui se sentent mieux représenté.e.s par cette écriture inclusive ?
Qui peut s’estimer lésé.e face à des mots en écriture inclusive qui permettent de mettre à pied d’équité les hommes et les femmes, les sénateurs et sénatrices, les caissiers et les caissières, les mathématiciennes, les infirmiers, etc. ?
Des études ont même prouvé que cette écriture renforçait le sentiment d’accessibilité à certaines professions, à des métiers stéréotypés.[3] [4]
Dès lors, pourquoi ne pourrions-nous pas nous habituer à lire des mots inclusifs ?
Selon une pétition adressée au Ministre de l’Éducation nationale, “L’écriture inclusive menace l’enseignement scolaire de nos enfants, alors que beaucoup ont déjà de grandes difficultés à maîtriser la grammaire et l’orthographe”. L’attaque est biaisée, l’écriture inclusive ne fait pas partie des contenus et des supports d’enseignement.
Qui fixe “les règles” du langage ? Qui a la légitimité d’en décider ? À qui appartient la langue si ce n’est à tous ceux et celles qui l’utilisent ? N’est-ce pas un bien commun à construire ensemble et qui se doit de rester vivace, vivant ?
Puisque l’on sait que l’on assimile bien mieux et plus vite dès le plus jeune âge, quand l’œil et le cerveau apprennent à s’habituer à d’autres possibles, pourquoi les enfants ne pourraient-ils pas apprendre à lire avec cette nouvelle donne ? En s’habituant à la féminisation de certains mots, à revoir des accords, au point médian voire au “iel” (qui s’il fait débat, permet de nous interroger et de réfléchir sur l’écriture non sexiste). Sans forcer, avec souplesse et liberté de choisir !
L’écriture inclusive, qui n’est pas réglementée, formatée, offre plus d’options, ouvre des possibilités : marquer les deux genres, neutraliser les oppositions, accorder avec la règle de la majorité ou de la proximité, faire des jonctions de mots, etc.
Si dans la mesure du possible nous utilisons l’écriture épicène, qui permet de lier et non de spécifier, l’essentiel pour nous est de rendre le langage plus égalitaire.
Au-delà d’une revendication féministe, l’écriture inclusive “saisit le monde d’aujourd’hui” avec l’ensemble des visions de notre société.
Nous sommes conscient.e.s qu’en termes d’accessibilité, elle ajoute de la complexité à la langue, à l’apprentissage de l’écrit et de la lecture. C’est un choix mesuré et assumé car la langue doit pouvoir refléter nos réalités contemporaines, la non binarité du monde, la complexité des enjeux autour des questions d’identité, de mobilités et d’interconnexions.
Pour autant, pour devenir pleinement inclusive, l’écriture inclusive doit aussi se développer, s’expérimenter. Elle doit produire de nouveaux supports, de nouveaux canaux de communication, de nouveaux outils. Elle doit se rendre accessible à toutes et tous, en particulier pour les personnes avec des troubles visuels, les personnes non-voyantes pour qui le braille ou les audio-textes peinent à retranscrire ces signes, les personnes dyslexiques ou encore celles avec un handicap cognitif. Elle doit rester plurielle et ouverte.
C’est bien dans cet usage des possibles de la langue que nous nous retrouvons, une langue qui unit et réunit, qui ne fige pas une norme devenue désuète à bien des regards.
Nous sommes des amoureux et amoureuses de la langue française, justement pour sa capacité à être créative, joueuse et plastique, à dire la beauté de toutes les langues de France, de s’adapter à tant d’usages, tant de générations, tant de supports.
Elle n’est pas morte, elle est au cœur du débat, elle se réinvente chaque jour.
Carole Coupez
Déléguée Générale de Solidarité Laïque
(1) “Grammaire générale ou Exposition raisonnée des éléments nécessaires du langage pour servir de fondement à l’étude de toutes les langues”, Livre III, tome II, Nicolas Beauzée, 1767.
(2) Mots entrés au Larousse 2021, ils incarnent particulièrement l’actualité et l’époque.
(3) “Warm businessmen, competitive housewives? Effects of gender-fair language on adolescents’ perceptions of occupations”, Dries Vervecken, Pascal M. Gygax, Ute Gabriel, Matthias Guillod & Bettina Hannover, Frontiers in Psychology, 2015.
(4) “L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue plus qu’on ne le croit à l’omission du féminin dans le droit. L’émancipation par le langage ne doit pas etre dédaignée”, Hubertine Auclert, 1898.
Et si on relisait ses paroles à l’aune de nouveaux droits aujourd’hui ? Hubertine Auclert reste d’une terrible actualité.