COVID 19 : l’éducation à distance ne peut être LA solution mondiale

COVID 19 : l’éducation à distance ne peut être LA solution mondiale
Si l’enseignement à distance peut être une réponse provisoire pour assurer la continuité éducative dans les pays largement connectés, son déploiement à l’échelle mondiale présente des limites. Tribune de Carole Coupez, Déléguée générale adjointe à Solidarité Laïque.

Le monde s’est presque arrêté… avec la pandémie du COVID 19. Plus de 4 enfants sur 5 sont déscolarisés, les écoles et universités fermées dans 165 pays au 26 mars et 1, 5 milliards d’apprenants se retrouvent confinés. Face à cette situation, l’UNESCO organise une coalition mondiale pour l’éducation et appelle à utiliser massivement l’enseignement à distance et les moyens numériques pour garantir la transition éducative dans ce moment exceptionnel.

Le risque est grand en ces temps de crise de ne penser qu’à court terme, de façon palliative. « L’enseignement à distance », « l’instruction virtuelle » et « la connectivité » ne peuvent être la solution unique à un défi complexe. En effet, les investissements doivent s’insérer dans une logique structurelle et de renforcement des systèmes éducatifs pour préparer l’après crise et des solutions éducatives pérennes. Nous craignons également dans ce contexte un engouffrement des marchands de l’éducation qui sont en train de proposer des solutions techniques, souvent court termistes et à visée essentiellement lucratives.

« Ne laissez personne de côté » notamment les enfants et personnes non connectées

Rappelons que pour certaines populations et particulièrement les plus vulnérables, l’enseignement virtuel n’est même pas une option. En France, l’éducation nationale estime que 5% des élèves n’ont pas de connexion à Internet à la maison. Cela a poussé nombre d’enseignants à devoir s’adapter. Quelle sera la situation dans les Etats où la connectivité est encore plus limitée ? En Afrique centrale, seulement 12% de la population dispose d’une connexion à internet. Au Brésil, seuls 42% des foyers ont un ordinateur et dans les foyers dont le revenu familial est inférieur à 2 salaires minimum, ce pourcentage diminue encore plus.

“L’école vient au devant des élèves”

Dans plusieurs pays, des gouvernements  envisagent de prendre des mesures pour lutter contre ces inégalités. De nombreux pays investissent la télévision publique et la radio pour dispenser contenus d’apprentissages mais aussi de prévention. Le ministre de l’éducation du Nigeria a ainsi appelé à une extension nationale du programme de l’UNESCO « L’école vient au-devant des élèves » pour atteindre les filles et les femmes non scolarisées dans le nord-est du pays. Cela signifie que l’enseignement est formaté et délivré par le biais de la télévision, de la radio et des appareils mobiles ou des tablettes fournies avec des contenus intégrés.

L’enseignement à distance, au service d’une réponse éducative plus large 

Même avec une bonne connexion à internet, l’éducation ne peut se limiter à des outils ni à une méthodologie. L’éducation s’appuie avant tout sur une relation éducative qui vise à accompagner, à guider et à apprendre à apprendre. Apprendre face à un ordinateur ne pourra jamais entièrement remplacer l’accompagnement individualisé, les allers-retours entre un enseignant et son élève, la maïeutique de l’apprentissage, ces interactions subtiles et adaptées à chaque élève. Autrement dit l’enseignant est la pierre angulaire d’une éducation qui remplit ses missions et     aucun outil numérique ne peut le remplacer. Certains Etats comme le Costa Rica l’ont compris et souhaitent apporter une réponse combinant formation des enseignants au numérique et processus diversifiés d’apprentissages. De même, et la Coalition mondiale semble vouloir s’y investir également, il est fondamental, et particulièrement en ces temps de crise, de maintenir les relations sociales et humaines entre les apprenants, avec leurs enseignants et de soutenir « les compétences socio-émotionnelles, l’empathie et la solidarité » à travers les technologies. Le Pérou, par exemple, a traduit des contenus dans dix langues autochtones et a développé des supports pour aider les apprenants à faire face à l’isolement. Cette dimension en situation de crise sanitaire, devrait et devra être prioritaire quand on connaît les impacts de l’éducation sur la socialisation des enfants, sur la stabilité et la normalisation, encore plus en temps de crise.

Enfin l’enseignement à distance convient-il à tous les âges, tous les niveaux ? Convient-il par exemple à l’école élémentaire, là où l’enfant doit encore développer l’autonomie, la capacité de concentration et l’autodiscipline pour apprendre ?

La crise du coronavirus appelle à renforcer ce service essentiel qu’est l’éducation

Dans un monde où les inégalités s’aggravent, permettre l’accès de toutes et tous à des services publics de qualité, parmi lesquels l’éducation, est un important vecteur d’égalité.  Dans ce contexte du coronavirus, nous voyons combien nous payons aujourd’hui les inégalités accumulées hier. Les Etats doivent donc se donner les moyens d’agir en mettant en place des politiques plus justes, plus équitables et s’attaquer en priorité à ces inégalités. Car l’objectif que se sont fixés les Etats, est de permettre d’ici 2030 à chaque enfant d’être scolarisé dans le monde (Objectif du développement durable 4). Si le secteur privé peut soutenir les efforts des Etats dans cet objectif, il nous semble également important de réguler leur apport, en conformité avec les Principes d’Abidjan. Seuls les Etats peuvent être garants de l’équité dans l’accès à l’éducation.

 

Carole Coupez, déléguée générale adjointe à Solidarité Laïque

Illustration : Shutterstock / emre topdemir

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