Au cours de leur examen du projet de loi, les député.es avaient proposé un article modifiant en profondeur la loi n°2021 1031 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, adoptée à l’unanimité le 4 août 2021. Il introduirait notamment une modification de l’article 1er de cette loi sur les objectifs de la politique de développement de la France, afin de conditionner l’aide publique au développement à la coopération des États tiers en matière de « lutte contre l’immigration irrégulière ». Cet article introduirait également une conditionnalité migratoire pour l’octroi des visas, y compris pour les titulaires de passeport diplomatique !
Ces dispositions sont inacceptables. D’une part, l’objectif principal de l’aide publique au développement est la réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté, comme le rappelle l’article 208 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne. L’aide doit reposer avant tout sur les besoins des populations dans les pays concernés, ainsi que sur les plans de développement et priorités décidés au niveau national. Ces principes d’efficacité de l’aide sont désormais adoptés au plan international.
D’autre part, la conditionnalité de l’aide contrevient de façon flagrante aux principes juridiques et constitue un détournement caractérisé de cette aide en la transformant en outil de pression diplomatique. Cette approche instaure une relation inégale entre États, qui va à l’encontre d’une démarche partenariale, pourtant prônée par l’Union européenne et ses États membres, et renforce des rapports de domination réels ou perçus comme tels. Loin d’être efficace, cette vision à court terme peut même nourrir le ressentiment de la population de ces pays à l’égard des États européens. Enfin, elle n’arrêtera pas celle ou celui qui a l’énergie d’affronter toutes les épreuves que lui réserve la migration clandestine, mais elle accroîtra les sévices, naufrages et atteintes à la dignité humaine.
La principale explication du rejet de la politique française dans de nombreux pays africains est bien là. La France a du mal à faire évoluer ses pratiques. Imposer sa volonté à ses anciennes colonies n’est plus possible. Comme le dit Achille M’Bembé (Politis n°1777) : « Une majorité de jeunes aspirent à une réelle souveraineté et à la transformation de leurs conditions de vie en Afrique même ». Ces transformations nécessitent une mobilité accrue des populations et ces mouvements se font essentiellement au sein des pays africains, au sein de chaque pays et entre eux. Les appuis extérieurs facilitant cette mobilité sont essentiels, en particulier pour créer des conditions de vie décentes dans les régions d’accueil, y créer des emplois et des services sociaux. Détourner l’aide de cet objectif serait une erreur.
Par ailleurs, brandir la menace des visas est une autre erreur profonde qui nuit avant tout aux intérêts et à l’influence de la France, comme ce fut le cas par exemple avec la dégradation simultanée et inédite des relations franco-algériennes et franco-marocaines à la suite de l’adoption de mesures dont l’un des principaux résultats a été de priver de visas les amis de la France dans ces deux pays. Les restrictions de visas affectant la circulation entre la France et le Mali, dans les deux sens, sont une absurdité au regard de l’importance majeure de la diaspora malienne en France et de ses liens étroits avec la société civile malienne.
Les diasporas jouent un rôle clef au plan socio-économique mais aussi au plan de la circulation des connaissances et des valeurs, dans les deux sens. Y compris les valeurs de liberté, égalité et fraternité.
Contrairement à ce évoqué durant les premiers débats, le ciblage migratoire n’est absolument pas une inspiration du ciblage de l’instrument d’aide extérieure de l’Union européenne (NDICI). En effet, celui-ci ne cible pas la « lutte contre l’immigration irrégulière » qui est un objectif avant tout sécuritaire impliquant le déploiement de moyens policiers ou militaires qui ne doivent pas entrer dans la comptabilisation de l’aide publique au développement, en vertu des règles du Comité d’aide au développement de l’OCDE (voir comptabilisation en APD des activités migratoires de l’OCDE, juin 2023). Ce ciblage européen n’est qu’indicatif et évoque un objectif large, qui est celui de la gouvernance des migrations et des déplacements forcés, dans l’esprit du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (règlement UE 2021/947 du 9 juin 2021, alinéa 51).
La conditionnalité migratoire et le détournement de l’aide publique au développement constituent des lignes rouges que la France ne doit pas franchir, pour des raisons légales, éthiques et d’efficacité dans la lutte contre les inégalités. Cette vision avait irrigué les débats sur la loi n°2021-1031, au cours desquels la majorité parlementaire, le rapporteur M. Hervé Berville et le ministre M. Jean-Yves Le Drian avaient à plusieurs reprises répété leur engagement contre la conditionnalité et le détournement de la politique de développement, en rejetant plusieurs amendements déposés en ce sens.
Les organisations suivantes réunies au sein de Coordination Sud appellent donc la représentation nationale à ne pas introduire dans le projet de loi cette disposition maladroite et contreproductive.
Coordination SUD, Olivier Bruyeron, Président
ActionAid France, Luc De Ronne, Président
Action contre la Faim, Frédéric Penard, Directeur général ad interim
Aides, Marc Dixneuf, Directeur général
Apprentis d’Auteuil, Nicolas Truelle, Directeur général
Asmae Sœur Emmanuelle, Adrien Sallez, Directeur général
AVSF – Agronomes et Vétérinaires sans frontières, Frédéric Apollin, Directeur
Batik International, Pauline de la Cruz, Présidente
Bioport, Nicolas Petit, Directeur général
CARI, Patrice Burger, Président du Conseil d’administration
Ciedel, Riyad Harrath, Président
Clong-Volontariat, Daniel Verger, Président
Comité Français pour la Solidarité Internationale, Anne-Françoise Taisne, Déléguée générale
Conseil de béninois de France, Jean-Charles Ahomadegbe, Président
Cosim Nouvelle Aquitaine, Alioune Sy, Président
Crid, Noura Elouardi, Coordinatrice Exécutive
Empow’Her Global, Soazig Barthélémy, Directrice générale
Engagé·e·s et Déterminé·e·s, Oriane Del Taglia, Déléguée générale
Equipop, Aurélie Gal-Régniez, Directrice exécutive
Expert-Solidaires, Eric Buchet, Président
Forim, Mackendie Toupuissant, Président
Geres, Laurence Tommasino, Déléguée générale
GRDR, Jean-Marc Pradelle, Président
Gref, Jacques Guillaud, Président
Gret, Henry de Cazotte, Président
Groupe Initiatives, Marie-Noëlle Reboulet, Présidente
Habitat-Cité, Marie Pascal, Directrice
HAMAP-Humanitaire, Martine Gernez, Président
Ingénieurs sans frontières France, Mehdi El Kamily, Président
Initiative Développement, Agnès Rossetti, Présidente
Initiatives et Changement, Marina Benedik, Déléguée générale
Iram, Henri Leturque, Directeur
Kynarou, Sophie Lehideux, Fondatrice et Directrice
La Chaîne de l’Espoir, Anouchka Finker, CEO
La Fondem, Vincent Jacques le Seigneur, Directeur général
Le Partenariat – Centre Gaïa, José Mariage, Directeur
Le Planning familial, Mel Noat, Bureau Confédéral du Planning Familial
Les Amis des Enfants du Monde, Béatrice Musseau, Animatrice du groupe plaidoyer
LP4Y Alliance, John Delaporte, Président
Madera, Sarah Gogel, Coordinatrice générale
Migrations & Développement, Jacques Ould Aoudia, Vice-Président
Partage, Yolaine Guérif, Directrice générale
Peuples et Montagnes du Mékong, Jean-Michel Courtois, Président
Planète Enfants & Développement, Véronique Jenn-Treyer, Directrice
Première Urgence Internationale, Thierry Mauricet, Directeur général
Santé Sud, Benjamin Roudier, Directeur général
Sèves, Romain Desvalois, Délégué général
Sidaction, Florence Thune, Déléguée générale
Solidarité Laïque, Anne Marie Harster, Présidente
Touiza Solidarité, Mohamed Khandriche, Président
UrbaMonde France, Béa Varnai, Présidente
WECF, Véronique Moreira, Présidente