Pour quelles raisons les filles sont-elles mariées ?
Le poids de la tradition est très important et la pratique est répandue. Au Mali, certaines filles sont littéralement vendues. L’intérêt pour les parents est d’abord financier : obtenir une dot et faire en sorte que la fille ne soit plus un poids pour la famille. Dans le pays, la pratique de la polygamie est courante. Ce sont des filles de 15-16 ans qui se retrouvent mariées à un vieil homme qui a parfois déjà trois femmes. C’est inacceptable. On sait que ces filles-là ont d’autres projets et ne connaîtront jamais le bonheur. Au centre Jigiya Bon, on a accueilli beaucoup de filles qui viennent du Nord du Mali, territoire en proie à l’instabilité due aux mouvements djihadistes, où de nombreux cas de violences envers les femmes ont été recensés. Cette pratique de mariages forcés et précoces ne faiblit pas.
Comment êtes-vous informée de ces situations dramatiques ?
L’alerte vient souvent du directeur de l’école qui nous contacte et nous explique la situation de ces filles qui souhaitent véritablement poursuivre leur scolarisation et se projettent sur une vie qu’elles entendent choisir elles-mêmes. On a ainsi eu des arrivées très violentes au centre : comme cette jeune fille Alima, mariée à l’âge de 15 ans. Elle s’est échappée de la maison de son mari pour retourner dans sa famille. Pour la punir, ses frères l’ont frappée jusqu’à lui casser les côtes. Les parents l’ont ensuite ramenée chez son mari. Aidée financièrement par son enseignant, elle a pris un car pour Bamako où je l’ai accueillie pour l’amener à l’hôpital afin qu’elle soit soignée. Depuis, elle a réalisé son rêve : rentrer à l’école de médecine.
La loi malienne protège-t-elle les jeunes filles de ces mariages ? Est-il facile de défendre les jeunes filles face à ces situations ?
C’est un peu compliqué. La loi place l’âge légal du mariage civil de la jeune fille à 16 ans avec accord parental. Mais lorsque les filles refusent de se marier, souhaitent poursuivre leur scolarisation et surtout viennent chercher de l’aide, on arrive souvent à obtenir gain de cause devant les tribunaux. On perd certains procès parce que les jeunes filles ne tiennent plus psychologiquement, n’arrivent à plus à faire face à leur famille. Ce sont souvent les mères qui payent la désobéissance de leur fille et se font maltraiter. Les jeunes filles renoncent parfois au procès pour que leur mère ne souffre pas. C’est donc un travail très difficile : on se retrouve face aux parents et au mari.
Pour libérer les jeunes filles de la contrainte, on assume le poids financier : la dot, les frais de justice pour pouvoir obtenir la garde de la fille. Pour mener cette lutte juridique, nous travaillons avec les Associations des juristes Maliennes, qui sont très mobilisées sur ces questions-là.
Les filles parviennent-elles ensuite à retrouver une vie normale ?
Souvent les filles se retrouvent dans une situation de rupture totale avec la famille. Elles restent avec nous, au centre Jigiya Bon. Ce sont souvent les mères qui font le premier pas : de temps en temps, elles viennent en cachette de leur mari rendre visite à leur fille. Au bout de 2 ou 3 ans, ce sont les sœurs qui viennent. Petit à petit, le lien familial se recrée. Ce combat permet à de nombreuses jeunes filles de retrouver une scolarisation normale et de réaliser leurs projets.
En 2014, Mariam Sidibe a été nominée pour le Prix « Woman for change » ? Organisé par la Fondation Orange et le Women’s forum, en partenariat avec Marie-Claire, ce prix récompense les femmes engagées pour les femmes en Afrique.
Solidarité Laïque à travers le programme TOP EDUQ soutient des partenaires dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest qui se mobilisent pour l’accès à l’éducation des filles.