Vous dites que le modèle associatif français est en danger. Pourquoi ?
Le gouvernement actuel est en train de remettre en cause notre tissu associatif et sa capacité, par la myriade d’associations de quartiers qui le constituent, à répondre à la demande sociale. Les mesures qui se préparent, baisse drastique des contrats aidés, incitation aux fusions acquisitions des associations… sont en train de transformer la vie associative en une sorte « d’entreprise sociale », qu’il faut gérer et qui doit faire la preuve de sa rentabilité. Or est-on sûr que c’est bien là la finalité du modèle associatif ? Ce qui est menacé, ce sont les solidarités au quotidien, le travail de ces milliers de bénévoles, services civiques, jeunes et seniors engagés, … auprès de leurs concitoyens. S’ils ne sont plus en prise directe avec le terrain, on court le risque de perdre en pertinence et utilité sociale.
Les orientations risqueraient selon vous d’ébranler les bases de la démocratie. Pourquoi ?
Lors du lancement de l’anniversaire des 40 ans de la politique de la ville en octobre dernier, plusieurs élus ont exprimé leur inquiétude aux ministres qui étaient présents. Et j’y souscris. Avec la remise en cause du logement social, la pérennisation de l’état d’urgence et le déploiement des contrôles au faciès et des perquisitions qui en découleront nécessairement, la fragilisation des chômeurs, des emplois aidés et des contrats d’avenir, c’est le cœur même de la politique de la ville qui est aujourd’hui touché. Je rappelle que celle-ci ne peut se passer de penser ensemble lien social, travail et logement, qui à eux trois conditionnent la mise en œuvre concrète d’une vie démocratique réelle. Une démocratie qui est coupée de la demande sociale et des acteurs agissant au quotidien sur leur territoire est forcément ébranlée.
Quel peut être selon vous l’impact de la baisse drastique des contrats aidés dans les quartiers ?
Ces contrats permettaient à des milliers de personnes d’avoir une utilité sociale. Pour certaines, c’était en effet une étape pour revenir vers l’emploi, mais pour d’autres comme les seniors qui n’ont plus l’espoir de retravailler, c’était la possibilité d’être utile. Qu’en sera-t-il désormais ? On ne peut que déplorer cette approche technocratique qui ne place plus l’humain au centre. Car quand on perd l’espoir de retrouver un travail et que l’on ne peut plus être utile dans son quartier, on manque de reconnaissance sociale, on perd l’estime de soi, ce qui peut conduire à des replis et des ruptures avec la société et ses institutions.
Joëlle Bordet a co-écrit avec Philippe Gutton et Serge Tisseron, Adolescence et idéal démocratique. Accueillir les jeunes des quartiers populaires, Press, coll. « Ouvertures psy », 2014