« Je rêve d’une laïcité qui soit enfin synonyme de fraternité. Une laïcité qui permette aux humains de s’accepter comme parties prenantes ensemble de « l’humaine condition », partageant les mêmes inquiétudes et se reconnaissant dans les mêmes questions fondamentales : comment faire de notre passage sur cette terre un moment porteur de sens ? Comment se donner un idéal qui agrandisse le cercle de l’humain et prépare un avenir où chacun trouve une place dans un projet commun ? Comment faire de nos différences des occasions d’enrichissements réciproques ? Comment assumer nos croyances et convictions réciproques avec cette modestie sereine qui décourage toute agression ? Comment vivre dignement et profiter de la douceur du temps comme de l’affection de nos proches tout en voulant notre bonheur contagieux ? Comment être toujours plus humain et toujours plus porteur d’humanité ? D’une humanité qui se sait fragile et dont il faut prendre soin inlassablement.
Je rêve d’une laïcité où la fraternité ne soit pas seulement inscrite aux frontons de nos monuments mais mise en œuvre au quotidien sur tous nos territoires et dans toutes nos institutions. Une laïcité qui nous fasse accueillir l’autre, sans aucune condition, d’un sourire et d’une promesse de rencontre sans violence. Une laïcité où, dans chaque quartier, dans chaque village, chacune et chacun s’implique pour « faire ensemble société ». Une société où tous les adultes, quels qu’ils soient, se vivent comme responsables collectivement de l’éducation de tous les enfants et adolescents. Une société où le partage des savoirs et la transmission de la culture n’intimide plus personne. Une société où les connaissances de chacune et de chacun puissent être échangées avec toutes et tous, tout au long de la vie. Une société où notre École soit attentive, dans son organisation comme dans sa pédagogie, à tout ce qui unit les êtres, contre tout ce qui les divise, et à tout ce qui les libère, contre tout ce qui les assujettit. Une société où la solidarité soit le principe de tous nos systèmes sociaux et nos organisations politiques. Une société où chacune et chacun puisse découvrir que ce qui aide les plus faibles enrichit le monde et prépare un avenir meilleur pour tous.
Je rêve d’une laïcité où la fraternité ne connaisse plus de frontière. Où les humains habitent ensemble la même Terre-Patrie en mesurant que tout ce qu’ils font à des conséquences sur leur destin commun. Un Terre-Patrie qui cesse de gaspiller tout ce qui est épuisable – et risque de faire défaut demain – pour créer inlassablement tout ce qui est inépuisable : les arts, la convivialité, la pensée. Une Terre-Patrie où nul ne soit exclu de la dignité et de la citoyenneté.
Je rêve d’une laïcité qui ait un goût d’humanité heureuse et de solidarité contagieuse.
Je rêve d’une laïcité d’aujourd’hui qui prépare délibérément, pour demain, un monde fraternel. Une laïcité offerte à toutes et tous comme un combat commun. »
Philippe Meirieu, pédagogue